La digitalisation offre des opportunités pour la fonction RH. Encore faut-il ne pas se tromper d’objectif et privilégier l’humain. Primobox a souhaité interroger Benoît Serre, vice-président de l’ANDRH (Association Nationale des Directeurs en Ressources Humaines), sur les enjeux de la dématérialisation et de la digitalisation pour les DRH.
Selon vous, aujourd’hui, que représente la digitalisation et la dématérialisation pour la fonction RH ?
Pour moi, le digital rend de plus en plus nécessaire la recherche d’un meilleur équilibre entre l’expérience client et l’expérience collaborateur sous l’effet notamment d’une attente de plus en plus forte d’individualisation de la relation employeur-employé. Je m’explique. D’un côté, dès lors que les entreprises se digitalisent, la fonction RH aussi, sinon elle prend le risque d’être en décalage par rapport au rythme et à la culture de l’entreprise.
D’un autre côté, les réseaux sociaux, qui poussent ce que l’on a envie de dire, permettent une personnalisation très interactive de la vie digitale. Toutefois, ce mouvement creuse un peu plus le fossé entre la vie à la maison et celle en entreprise. Avant la digitalisation, les gens avaient au bureau des dispositifs informatiques bien plus puissants que ceux qu’ils avaient chez eux. Aujourd’hui, c’est l’inverse, et les salariés ont le sentiment de reculer quand ils sont dans l’entreprise ou d’être dans un monde qui n’existe plus. En tout cas, ce n’est plus le leur. De fait, la crise sanitaire accélère le retour à une logique d’individualisation de la relation qu’ils ont dans la vie de tous les jours.
Les DRH sont-ils encore le moteur de la transformation digitale ?
J’ai toujours été convaincu que le meilleur promoteur de la digitalisation des entreprises, ce sont les salariés eux-mêmes. S’ils s’en sentent les bénéficiaires, ils en deviennent de très bons promoteurs. Cela étant, en 2017, une enquête sur les défis de la fonction RH réalisée par l’ANDRH à l’occasion de ses 70 ans, avait montré qu’effectivement les services des Ressources Humaines étaient moteurs de la transformation digitale dans l’entreprise. Mais pas seulement.
En parallèle, l’enquête a aussi relevé que les DRH devaient calmer les enthousiasmes un peu délirants autour d’une digitalisation qui allait tout changer. Certes, la digitalisation de l’entreprise génère des besoins de compétences nouvelles, mais pour autant elle ne peut ignorer – au risque d’échouer – le temps d’apprentissage incompressible, qui n’a pas accéléré dans des proportions comparables.
Les DRH ont donc un rôle très important de rendre possible la concordance des temps : la stratégie, le digital et les êtres humains. C’est pour cela qu’ils sont à la fois moteurs pour favoriser le développement des compétences digitales et leur utilisation dans l’entreprise. Ils sont là aussi pour que l’entreprise demeure vigilante sur le temps nécessaire à la réelle acquisition de compétences, à l’adaptation managériale.
Justement, qu’estimez-vous être un bon usage du digital pour la fonction RH ?
Si je me place à l’échelle de l’entreprise, c’est la simplification des relations entre les RH et les salariés. L’administration du personnel, l’administration de la formation, l’administration de la paie… ont vocation à se digitaliser très vite :
- Ce n’est pas normal de devoir appeler les DRH pour demander une attestation d’emploi quand on veut faire un emprunt bancaire. Cela doit se faire de manière digitale et automatique.
- Ce n’est pas normal de devoir appeler la fonction RH pour connaître le nombre de jours de congés restant à prendre…
- On doit pouvoir gérer la formation dans un mode très hybride avec une partie en présentiel et une autre en distanciel.
- On doit pouvoir recruter en réglant tous les problèmes de vérification des expériences et des compétences.
L’administration du personnel reste essentielle, car une paie juste et des droits appliqués sont le premier acte fondateur de la relation employeur-employé : le respect du contrat de travail. C’est une mission évidemment très concernée par la digitalisation, mais c’est loin d’être la seule.
Et si vous vous placez à l’échelle de la direction des Ressources Humaines, quelles sont les bonnes pratiques ?
La dématérialisation et la digitalisation ont aussi un effet positif sur la fonction RH, si toutes les tâches à faible valeur ajoutée extrêmement répétitives disparaissent pour redéployer les gens vers les fonctions à plus forte valeur ajoutée. Par exemple, pour le recrutement, je n’ai jamais cru que le tout digital était une bonne idée. En revanche, il permet aux DRH d’occuper son vrai métier : mener des entretiens avec des personnes physiques qui sont des êtres humains et être capable de détecter si ces personnes vont pouvoir s’intégrer dans la culture d’entreprise, leur potentiel, leur caractère…
Qu’il s’agisse de construction des parcours des carrières, de gestion anticipée de l’employabilité, de gestion des organigrammes de succession, d’évaluation permanente des compétences acquises et à acquérir, de transformations de métiers… La meilleure des IA ne remplacera jamais la capacité de transformation managériale. La fonction RH est une fonction collective : s’assurer que l’on a le bon nombre de personnes avec le bon nombre de compétences au bon endroit. Cela nécessite de l’anticipation permanente, car le marché évolue extrêmement vite. Ce que permet le digital. Mais la RH, notamment en France, ne fait pas suffisamment ce travail d’anticipation. Elle est surtout occupée par la dimension de la relation sociale. Or, c’est la qualité du service rendu par les équipes RH qui fonde la qualité du dialogue social. Trop souvent l’approche est inverse.
Benoît Serre est vice-président délégué de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH). Il est aussi associé au Boston Consulting Group pour accompagner les entreprises dans leurs stratégies RH et sociales. Auparavant, il a occupé la fonction de DRH de grands groupes comme Leroy Merlin et la Macif.